Interview réalisée par Valérie Chèze`Masgrangeas pour Le Temps d’Ecrire

 

Après des études d’histoire et de documentaliste, puis un emploi chez Total pendant une
vingtaine d’années, Virginie a suivi son époux en expatriation, en Ecosse, en Australie et en
Russie. Fondatrice de L’Atelier Virginie Grussaute, elle vient de rentrer en France.

 

Comment naît l’idée de changer de voie professionnelle ?

 

Quand je suspends mon contrat lors de notre première expatriation, je me pose la question de
trouver une activité professionnelle qui me permette de travailler partout. J’ai eu
l’occasion de découvrir le métier de tapissier dans l’association Pau métiers d’art, j’ai refait
quelques sièges, et cela m’a bien plu. Soudain le déclic se fait : quand nous nous installons
dans le Béarn, entre deux expatriations, je passe un CAP dans une école du bois et de
l’ameublement et je deviens diplômée.

« A Moscou je sens une vraie créativité »

 

Bravo pour cette belle reconversion. C’est à ce moment-là que vous partez à Moscou ?

Oui et une fois l’installation terminée, je me dis que j’aimerais garder la main sur mes
apprentissages, tout en me demandant comment trouver les matériaux, moi qui avais appris
sur du traditionnel. Je m’aperçois rapidement que mes clients seront les expatriés, qui n’ont
pas forcément emporté leurs fauteuils, et que refaire du siège sera compromis. En revanche, à
Moscou je sens rapidement une vraie créativité, grâce à des personnes comme Salvina et
Maud. Je commence à faire de la couture d’ameublement avec des coussins, des trousses, des
housses, d’abord chez Corinne Ruiz dans son atelier De fil en aiguille, puis chez moi où je
crée mon propre atelier.

 

Virginie, est-ce à moment-là que vous créez votre marque ?

Au départ je crée une première marque, Charivari. Je ne dépose pas le nom et quelques
années plus tard, au moment de formaliser les choses, ce nom sera pris par d’autres. Je décide
de garder mon logo, je crée l’Atelier Virginie Grussaute et l’aventure commence.

 

Vous avez évoqué la difficulté de trouver des matériaux. Quels sont vos fournisseurs ?

Une décoratrice russe me conseille des sites, qui deviennent ma référence pour tous les
matériaux. Par contre je rapporte les tissus de France. C’est toujours un vrai plaisir de
chercher des nouveautés et je reviens les valises pleines à chaque fois.

« Je suis dans une démarche de développement durable »

 

Attachez-vous de l’importance à la qualité des matériaux ?

Avoir des tissus d’éditeurs ou de créateurs permet d’avoir des sièges de qualité, avec une
bonne densité de tissu. Je suis également dans une démarche de développement durable : je
donne une seconde vie aux sièges et je cherche des tissus qui ne viennent pas forcément du
bout du monde.

En Russie puis en France, comment se déroulent vos journées ?

A Moscou je suis très entourée et mes copines sont toujours encourageantes. C’est très
valorisant ! La maison s’est transformée en show-room et il y a tout le temps du monde. Cela
se fait naturellement et c’est très chouette. J’ai aussi l’occasion de faire une première vente à
l’Ambassade de France, lors de l’exposition des créateurs.

Quand je rentre en France, c’est difficile car tout d’un coup, il n’y a plus personne. Je
retourne à la case départ et je dois reconstruire mon réseau, ce qui est un peu frustrant après
avoir connu la gloire et la facilité {rires} ! Les premiers temps je suis contente de faire mon
petit atelier à la maison, de travailler dans le calme mais au bout d’un moment je n’en peux
plus. J’ai besoin de retrouver du monde pour pouvoir parler et échanger.

Aujourd’hui j’ai un vrai statut d’auto entrepreneur, j’ai réintégré l’atelier dans lequel
j’avais fait des stages, je suis hébergée par une amie tapissière ELEA Tapissier décorateur
Valérie Godart. Cela me permet de me remettre à jour sur les techniques et de retrouver de
l’échange et du dynamisme car il y a du passage. Je vois des commandes arriver au fur et à
mesure, surtout pour les sièges, et c’est intéressant car cela demande du temps et cela a un
prix.

« Moscou m’a donné une énergie considérable »

 

Virginie parlez-moi de vos concurrents ?

En Russie il y avait un petit décalage entre les goûts des Russes et des Français et je n’avais
pas vraiment de concurrents. Il y avait de la place au niveau création pour tout le
monde. Comme mes copines adoraient la déco, elles me faisaient partager leurs idées
et nous nous sommes fait plaisir ensemble. Je ne suis pas certaine que j’aurais continué
ailleurs qu’en Russie. Moscou m’a donné une énergie considérable. Les commandes se sont
enchaînées et je ne me suis pas arrêtée. C’était très fluide.

En France, c’est différent. Mes concurrents sont les tapissiers locaux et les créateurs
d’accessoires textiles sur le web, qui sont nombreux. Il faut se faire connaitre par le bouche à-oreille, en étant présent sur les réseaux sociaux, en faisant des marchés de créateurs. C’est
beaucoup plus lent et plus calme, il faut être persévérant, surtout en province. Je suis contente
d’avoir vécu cette expérience à Moscou quelques années. Cela m’a donné l’impulsion
nécessaire pour me lancer.

 

Quand vous avez appris votre retour en France, comment l’avez-vous anticipé
professionnellement ?

J’ai anticipé mon retour en créant mon site internet. J’aurais pu profiter davantage de
Moscou les derniers mois mais je me suis plongée dedans et penser à « l’après » m’a portée.
J’ai fait la formation d’Emilie Digital Agency, Formation Easy-ecommerce – Réussir votre Eshop. Cela m’a permis d’organiser et de structurer mon projet, puis de rencontrer la
webmaster Véronique Gachet communication avec laquelle j’ai réalisé l’architecture du site et
la boutique en ligne. C’est une très belle vitrine pour la partie siège et une fenêtre ouverte
sur l’e-commerce. Cela demande un travail régulier mais chronophage de mises à jour sur le
web et d’animation sur les réseaux sociaux. Je dois m’organiser pour garder du temps pour
l’essentiel qui m’anime : la créativité et mon travail à l’atelier.

« Garder une organisation et un rythme de travail »

 

Quelle principale difficulté avez-vous rencontrée ?

La principale difficulté est de se retrouver toute seule et de recommencer à zéro, tout en
gardant une organisation et un rythme de travail. L’été dernier j’ai passé beaucoup de temps
en formation, à la Chambre des Métiers. Aujourd’hui mon organisation est calée : je me
rends deux fois par semaine à l’atelier et le reste du temps je travaille à la maison dans mon
atelier, en gérant également les réseaux sociaux et mon site.

Avez-vous rencontré des freins ?

C’est très simple : que ce soit à Moscou ou à Pau, mon temps de travail est limité. C’est moi
qui gère les enfants et ma journée est terminée à partir de 16 heures, sans compter les
mercredis et les vacances scolaires. Nous avons fait ce choix pour que tout se passe bien et
pour le moment mes jumeaux sont ma priorité. Je vis mon projet à long terme. Les enfants
vont grandir et je vais pouvoir dégager davantage de temps.

« J’aime travailler dans le plaisir »

  
Virginie, que vous a apporté ce nouveau métier ?

Je suis passée d’un métier de documentaliste, très immatériel, où je ne voyais pas les résultats
de mon travail, à un métier très concret, très satisfaisant. J’adore la déco, j’aime beaucoup les
tissus. Dès que je vois un siège, il faut que je le retourne, que je regarde comment il est fait.
J’aime travailler dans le plaisir et j’ai vraiment besoin de garder cette passion et cette
flamme pour me motiver au quotidien. Je veux continuer à découvrir de nouvelles
techniques pour avancer dans ce métier et progresser.

 

Quels sont les bénéfices de vos années d’expatriation ?

Nos années d’expatriation ont été extrêmement positives pour toute la famille. Nous avons
vécu des choses ensemble ailleurs et je trouve ce sentiment très fort. Chacun en a retiré des
choses différentes : pour les enfants c’est les copains et certaines activités, pour nous ce sont
des rencontres extraordinaires. En France nous n’aurions pas eu l’occasion de rencontrer
autant de monde et c’est aussi cela qui donne toute cette énergie. Quand nous rentrons en
France, tout est différent mais nous savons que nous pouvons également vivre autre chose,
qu’il y a de l’ailleurs et d’autres perspectives. Je pense que d’ici quelques années nous
aurons envie de repartir.

« Rester ouvert »

 

Quel conseil donneriez-vous à une femme qui quitterait un emploi pour suivre son
conjoint en expatriation ?

L’idéal est d’avoir un projet et d’y penser un petit peu avant. C’est aussi le bon moment
pour faire autre chose. Des copines ont fait des formations à distance qui leur ont permis de
réfléchir, de se poser et de se demander ce qu’elles aimeraient faire. Certaines ont souhaité
rester dans leur domaine d’activité mais ce n’est pas toujours possible. Trouver autre chose
est finalement une formidable opportunité pour entamer une seconde vie
professionnelle. Et c’est d’autant plus vrai pour les générations actuelles, qui ne travailleront
plus toute leur vie dans la même entreprise.

 

Comment envisagez-vous l’avenir ?

J’ai envie de poursuivre mon projet, de continuer à développer mes compétences au niveau du
siège, en contemporain et en traditionnel. J’adore me former, j’aime le côté créatif et je
développerai certainement de nouvelles techniques en me renouvelant, en découvrant de
nouveaux tissus, en innovant. Je suis notamment intéressée par plein de nouveautés en
cannage et en tressage.

 

Quel sera votre dernier mot ?

J’aime bien regarder ce que j’avais fait et comment je l’avais fait. J’ai évolué dans mes goûts
et dans mes techniques. Finalement la création c’est l’air du temps et l’important est de
rester ouvert. Oui, rester ouvert, c’est cela qui nous fait avancer et qui nous porte.

Valérie Chèze, février 2020